Roger E. Noyau
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« Revenons à l’élection de 2014 et à l’épisode Ramgoolam-Soornack, qui contribua à faire sortir l’autoproclamé Roi Lion de la caverne du pouvoir. Le réservoir de voix féminines outrées du comportement de « move garson » avait nourri un sentiment de rejet à l’égard du Golden Boy, et promu un style de gouvernance plus classique, avec le vieux sage SAJ et son fils « hardworker », propre sur lui, peu people et surtout…respectueux des femmes.
Feu Anerood l’avait-il compris ? Ces dames jetteraient leur dévolu sur un leader certes plus lisse, mais fidèle, mari tranquille pour la ménagère de plus de quarante ans, gendre idéal pour les grand-mères fatiguées des frasques du précédent PM.
SAJ avait donc fait campagne non pas avec du pain et des jeux, mais avec dilo ek… moralité : de l’eau qui coule dans nos tuyaux, un serrage de vis contre la drogue et le … jeu. De quoi faire mentir l’adage « moralite na pa ranpli vant » !
En relisant ces quelques lignes d’un article intitulé « Les femmes ou l’espérance politique » (Forum du 6 janvier 2024 :https://www.lemauricien.com/le-mauricien/les-femmes-ou-lesperancepolitique/619070/), je me suis décidé à reprendre l’analyse là où je l’avais laissée.
Le personnage principal : Navin est-il le nouveau… Pravind ?
L’élection de 2024 n’est qu’un bis repetita de la telenovela 2014 : il suffit de remplacer Ramgoolam-Soornack par la paire Pravind-Kobita pour retourner la sanction dans l’autre sens. Les acteurs ont changé, mais les rôles, fonctions et statuts des personnages restent à peu de chose près les mêmes ! Je ne m’intéresse pas ici à la personnalité des protagonistes, je ne prétends ni connaître leur psychologie ni le fond de leurs intentions. Je propose seulement une analyse très froide d’un feuilleton maintes fois recyclé.
Vieillir a du bon. En politique, il n’y a parfois rien à faire de plus qu’à attendre. Attendre : que les cheveux grisonnants et l’allure fragile du Grand homme à la volonté éprouvée finissent par rassurer la ménagère de plus de quarante ans. Le personnage « Navin Ramgoolam » n’est plus ce débonnaire titubant que l’on débusquait d’une caverne aux coffres forts. Il n’est plus cet homme potentiellement dangereux, qui serait soumis aux caprices d’une « belle dame » que l’opinion publique avait affublée du sobriquet « Madam-la ». C’est un homme pardonné et fidèle, bref inoffensif : un bon mari adouci par le regard de Veena, que l’on redécouvre enfin après l’exil derrière des lunettes de soleil !
Le premier rôle féminin : la femme-mère ou la femme-forte ?
Le personnage Veena reprend les codes du féminin sacré : femme forte face aux humiliations, celle qui monte la garde sans trop en dire, celle qui tend toujours une oreille compréhensive, sans jamais faire d’ombre à son homme – les hommes sont toujours bien trop vulnérables face aux séductions du pouvoir ! Ce personnage est la femme-mère : celle qui console dans la discrétion, qui traverse les déserts de solitude, stoïque, celle qui finit par vaincre la marâtre illégitime grâce à son abnégation. C’est le triomphe de Cendrillon, la douceur et la docilité récompensées.
De l’autre côté de la scène, la « femme méchante » tient une place d’exception ; c’est un drôle de personnage, que le public adore haïr, et qu’il a peur de nommer. En 2014 déjà, la Némésis Madam-la aura fini par causer la chute de son pantin. Dix ans plus tard, la référence Shakespearienne pointant le bout de son nez, c’est Lady Macbeth qui semble décider de tout : planifier, adouber, honnir, avec une langue de vipère à faire pâlir les meilleurs scénaristes bollywoodiens.
La vraie tragédie de Lady Macbeth
Je laisse aux universitaires le soin d’étudier ce paradoxe : le public (ou l’électorat) même féminin préfère toujours la femme-force-tranquille à la femme-puissante. Là où l’apparat du pouvoir légitime si bien l’héroïsme masculin, il est une tare pour les femmes.
Là où, pour les hommes, l’excès de colère sera pris pour de la fermeté (the guy puts his foot down !), pour les femmes, ce ne sera rien d’autre que du… caprice, de l’hystérie (li fol sa fam-la !). Là où, pour les uns, la manigance sera prise pour de la stratégie, pour les autres, ce sera une tactique de… diablesse vénale et hypocrite.
Le pouvoir est quelque chose que l’on pardonne plus facilement aux hommes qu’aux femmes ! Mais qu’il est difficile de pardonner aux hommes d’avoir laissé les rênes du pouvoir à…une femme ! Ce qui nous mène à un deuxième paradoxe : c’est un 60-0 à la représentativité féminine famélique vient remplacer un kitchen cabinet où jamais auparavant une femme n’avait joui d’un tel pouvoir politique !
On a trop vite fait de jeter la pierre à Lady Macbeth – à la vraie Lady Macbeth, celle de Shakespeare. On oublie que son caractère tragique et sa méchanceté légendaire prennent racine dans une frustration millénaire : Lady Macbeth est une femme d’appétit qui aurait pu prétendre à un destin d’homme, mais la société d’alors ne permettait pas à une femme d’avoir les crocs… Lorsque l’on exerce le pouvoir par procuration, n’ouvre-t-on pas la voie à tous les excès ?
Les chatwas et le Peuple « bon public »
La symétrie du théâtre politique de 2024 et de 2014 est criante en raison des Secondary Plots aux allures de tragi-comédie. En 2014, on reprochait à Bérenger sa trahison et ensuite son aveuglement tactique : non, l’électorat ne voterait pas pour une alliance des contraires ! En 2024, on reproche à Xavier-Luc Duval son chatwaïsme et, de nouveau, cette espèce de crédulité : celle de croire qu’un leader de l’opposition pourrait faire les yeux doux au régime qu’il avait jusque-là combattu avec mérite.
Pourtant, nous voici ébahis devant le Retour du Roi, le relèvement du héros déchu. Nous voici en transe devant l’abaissement d’un dictateur aux gants de velours, devenu bouc-émissaire, dépouille politique autour de laquelle s’acharnent les vautours. Shakespeare, en son temps, avait bien su décrire l’inconstance d’une foule, qui confond trop souvent pulsion animale et instinct démocratique. Quand le peuple dit non, cela ne veut pas dire qu’il dit oui !
Croire que Navin et le mauricianisme ont gagné en 2024, cela relève de la fiction. Dans la réalité, on retiendra deux grands perdants : Lady Macbeth et le népotisme. Il ne nous reste plus qu’à espérer qu’une femme ose enfin briguer le pouvoir qu’elle mérite, sans se contenter d’être faiseuse de roi ou tireuse de ficelle.
La symétrie du théâtre politique de 2024 et de 2014 est criante en raison des Secondary Plots aux allures de tragi-comédie. En 2014, on reprochait à Bérenger sa trahison et ensuite son aveuglement tactique : non, l’électorat ne voterait pas pour une alliance des contraires ! En 2024, on reproche à Xavier-Luc Duval son chatwaïsme…