Quelle est la moralité à enseigner à ses enfants et quels sont les principes à cultiver chez eux dans une société où l’honnêteté
est sous le règne de la corruption ?
Mazouz Hacène
Le lundi 11 novembre 2024, avec le départ involontaire du Premier ministre Garry Conille, la nomination et l’installation d’un nouveau Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé par le Conseil présidentiel de transition (CPT), une nouvelle transition a vu le jour bien qu’il n’y ait pas de point de rupture entre les deux.
Outre la même élite de la classe politique moribonde, des membres du gouvernement sortant dont le secrétaire général de la Primature, Me Camille Édouard Junior, la ministre de l’Économie et des Finances Kethelene Florestal, le ministre du Commerce James Monazard, le ministre de l’Éducation nationale, Augustin Antoine ; le ministre des Travaux publics Raphaël Hosty et celui de l’Environnement Vernet Joseph ont pris part à cette installation à la Villa d’Accueil, malgré l’absence de leur leader déchu Garry Conille.
L’ensemble des membres du Conseil Présidentiel de Transition, des membres du corps diplomatique se sont présentés en nombre imposant notamment André François Giroux du Canada, Antoine Michon de la France, Maria Isabel Salvador, représentante du Secrétaire général de l’ONU et cheffe du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) ; le Directeur Général de la Police Nationale d’Haïti (PNH), Rameau Normil, Godfrey Otunge, commandant de la Mission d’Occupation Kenyane ou Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité (MMAS) et le commandant en chef des Forces armées d’Haïti Derby Guerrier.
On ne peut pas parler de l’installation sans dire un mot des causes qui ont fait avancer les choses jusqu’à ce carrefour. Rappelons que c’est le CPT sous la pression de l’ambassade américaine qui avait choisi Garry Conille comme Premier Ministre d’Haïti. Il peut y avoir quelques frictions au sein des deux têtes de l’Exécutif haïtien, mais la genèse de ce grave désaccord entre les deux protagonistes a émergé juste après l’affaire de corruption dans laquelle 3 conseillers : Louis Gérald Gilles, Emmanuel Vertilaire, Smith Augustin sont impliqués et ont été dénoncés par le président du Conseil d’Administration de la Banque Nationale de Crédit, Raoul Pierre-Louis.
Suite à cet événement, les trois Conseillers-Présidents inculpés au sein du Conseil, pour tenter de se racheter, ont préféré signer un pacte avec d’autres collègues corrompus de la même manière pour ne pas perdre la face, de peur de ne pas être écartés du Conseil Présidentiel. C’est dans cette perspective qu’ils ont commencé à chercher des alternatives pour leur assurer une certaine protection, en la personne d’Edgard Leblanc Fils, pour qui ils avaient a priori concocté un projet pour qu’Edgard remplace Smith Augustin et ainsi de suite.
Les choses allaient dévier suite à la 79ème Assemblée Générale des Etats-Unis, où initialement, le voyage de la délégation fut divisé en deux : le Premier Ministre partit et Edgard Leblanc dut retarder son voyage pour recevoir le Président Kenyan Williams Ruto.
Suite à un désaccord diplomatique avec Washington, Edgard Leblanc faillit annuler définitivement son voyage et il invita son collègue-conseiller Leslie Voltaire à le remplacer. Entre-temps, les arrangements diplomatiques avec Washington étaient rentrés dans l’ordre et le 24 septembre Leblanc rejoignit la délégation.
A New York, soudain d’autres différends diplomatiques surgirent cette fois entre des représentants du gouvernement et le conseiller présidentiel Leslie Voltaire. Et ce dernier avait juré qu’il y aurait des pertes de pouvoir. Il déclara depuis les Etats-Unis que des têtes seraient coupées, c’est-à-dire qu’il licencierait des gens pour lui avoir manqué de respect.
C’est ainsi que les 3 mousquetaires rejoignirent Leslie Voltaire de préférence pour les aider dans leur forfaiture à la place de Leblanc. Rapidement, une résolution fut prise, et la présidence tournante changea son itinéraire. Les 3 accusés ont remis leur destin entre les mains de Voltaire pour ne pas perdre la face. Et à la place de Smith Augustin, c’est Leslie Voltaire qui a succédé à Leblanc.
Entre-temps, l’Ulcc a présenté son rapport qui a inculpé les 3 présidents-conseillers et a demandé que des poursuites judiciaires soient engagées contre eux.
A cette époque, le président dominicain Luis Abinader avait de son côté entamé une campagne de déportations massives de ressortissants haïtiens. Le gouvernement haïtien, par la voix du ministre des Affaires étrangères Dominique Dupuy, a dénoncé avec force les actions racistes illégales d’Abinader. Cette réaction ne cadrait pas du tout avec les sentiments de Voltaire qui venait de passer quelques mois à recevoir des soins médicaux dans un hôpital de la République voisine. Sans doute, il doit y retourner et ne voudrait pas qu’Abinader lui ferme la porte.
Voltaire, avec ces deux dossiers, a eu suffisamment d’armes pour combattre le gouvernement Conille. D’abord, il a exigé le limogeage du ministre des Affaires étrangères Dominique Dupuy. Et faisant d’une pierre deux coups, il vengea l’humiliation de New York et calma la colère d’Abinader qui, lui aussi, réclamait le renvoi de Dupuy.
Le Premier Ministre Conille résista aux assauts de Voltaire et de ses complices brigands. La résistance de Conille obligera les acteurs sous la direction de Voltaire à passer à l’offensive et à utiliser leurs prérogatives de pouvoir pour réclamer, en plus de Dupuy, le Ministère de la Justice afin qu’ils puissent l’utiliser en leur faveur.
Cet incident qui s’est terminé momentanément avec l’installation d’un nouveau Premier Ministre, n’est autre que le triomphe de la corruption, la victoire d’une cause au service des intérêts personnels qu’ils tentent de déguiser en cause politique.
Et c’est dans cette perspective que les États-Unis ont en guise de réaction publié le 12 novembre 2024 une note indiquant tout simplement qu’ils « se réjouissent de travailler avec le nouveau Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé et le CPT pour faire avancer les priorités urgentes dans les mois à venir » la note continue « Les États-Unis remercient également l’ancien Premier ministre Conille pour son service distingué à son pays.
Les États-Unis ont invité le CPT et le nouveau Premier ministre à publier un plan d’action conjoint présentant leur vision pour renforcer la sécurité, améliorer la gouvernance et ouvrir la voie à des élections libres et équitables. Ils considèrent qu’il est essentiel que les rôles et responsabilités respectifs du CPT et du Premier ministre soient clairement définis et qu’un mécanisme de responsabilité mutuelle soit établi, si nécessaire, afin d’éviter de nouvelles impasses.
Il est également impératif de promouvoir la responsabilité au sein du CPT afin de maintenir sa crédibilité auprès du peuple haïtien et de la communauté internationale. Les besoins aigus et immédiats du peuple haïtien exigent que le gouvernement de transition donne la priorité à la gouvernance sur les intérêts personnels concurrents des acteurs politiques ».
Le conseiller Vertilaire lui a déjà dévoilé le secret dans une conversation personnelle. Il a clairement exposé ce que le prochain ministre de la Justice fera probablement. Selon lui, il n’a qu’à se rendre auprès du juge d’instruction et l’informer ou l’ordonner que cette poursuite contre les Présidents-Conseillers fautifs soit abandonnée. Autrement dit, les 3 accusés souhaitent désigner le prochain ministre de la Justice afin qu’ils puissent exercer leur autorité hiérarchique sur le Ministre et le Commissaire du Gouvernement. Cela permettrait qu’ils instruisent ce dernier de demander un non-lieu ou même d’abandonner la poursuite contre les Présidents-Conseillers incriminés.
C’est la corruption tous azimuts qui commande car les membres du CPT ont pillé les fonds alloués aux services de renseignements, qui sont d’environ 25 millions de gourdes par mois. Malheureusement, c’est sous ce prétexte fallacieux que le Conseil présidentiel de transition ou Corruption, devrait-on dire, entame une autre phase de cette transition sponsorisée par l’impérialisme américain.