On peut ne pas être reconnu par la communauté internationale. Cela n’empêche pas de tenir régulièrement des élections pour choisir ses leaders. Le scrutin présidentiel au Somaliland gagné par l’opposant Abdourahman Abdillahi dit « Cirro », 69 ans, contre le candidat sortant Moussa Bihi Abdi, 76 ans, s’est déroulé dans des conditions saluées par tous les observateurs. Les électeurs ont fait preuve d’un civisme remarquable, se rendant aux urnes massivement et dans le calme.
La réaction du président battu, qui a reconnu sa défaite et félicité le vainqueur, a également été digne et respectueuse des principes démocratiques.Ce geste, empreint d’élégance politique, le grandit et illustre son attachement aux valeurs démocratiques.
Cela dit, l’issue de cette élection a fait entrer le Somaliland dans un moment charnière de son histoire. Avec le changement au sommet du pouvoir, cette République auto proclammée se trouve à la croisée des chemins : celui d’une possible réconciliation interne et d’une décrispation diplomatique, ou celui d’un prolongement des fractures qui le menacent.
Pendant ses sept années à la tête de l’État, Moussa Bihi Abdi a navigué en eaux troubles, laissant derrière lui un bilan mitigé. Sur le plan interne, sa présidence a exacerbé les tensions entre les régions dites « périphériques » et le cœur politique et économique du Somaliland. Ces inégalités ont conduit à des soulèvements, notamment au sud-est, qui ont fini par engendrer une sécession de facto. Cet échec à maintenir l’unité nationale est sans doute l’une des causes majeures de sa défaite électorale.
S’agissant des relations avec ses partenaires dans la région, la gestion de Bihi s’est avérée tout aussi problématique. En cédant une façade maritime à l’Éthiopie en échange d’une hypothétique reconnaissance diplomatique, il a brisé le consensus régional, mettant fin à un fragile rapprochement intersomalien et le ton montant entre Mogadiscio et Addis-Abeba. Cette manœuvre hasardeuse a davantage isolé Hargeisa sur la scène internationale tout en détériorant les relations avec Djibouti, accusé sans fondement de jalouser un « succès économique » que la réalité peine à confirmer.
L’arrivée aux commandes d’Abdourahman «Cirro» est donc porteuse d’espoir pour un Somaliland à la recherche de stabilité et de reconnaissance. Cependant, les défis sont immenses. La réconciliation nationale devra figurer en tête de ses priorités, avec une attention particulière à la construction d’un modèle plus inclusif, éloigné des pratiques excessivement centralisatrices.
Sur le plan externe, le nouveau président somalilandais devra s’éloigner de l’approche belliqueuse qui prévalait jusqu’à présent et rétablir des relations saines avec ses voisins. La quête de reconnaissance internationale pour le Somaliland ne saurait se faire en s’aliénant ses partenaires naturels dans la région.
Ce scrutin referme une ère marquée par des divisions, des calculs risqués et des rancunes inutiles. Il laisse entrevoir un nouveau chapitre qui pourrait être celui de la réconciliation et de la reconstruction. Pour le Somaliland, en dépits des défis, c’est une fenêtre d’opportunité qui s’ouvre grande. Il serait tragique de la laisser se refermer.