Bilan humain, distribution des vivres, action des forces de l’ordre sur le terrain, gestion des déchets… À Mayotte, 12 jours après le passage du cyclone Chido, certains habitants et élus dénoncent un décalage entre les annonces du gouvernement et la réalité du terrain.
“Qu’est-ce qu’ils font ?” : des élus mahorais poussent un cri de colère face à “l’écart” entre les annonces de l’État et le manque criant d’aide sur le terrain.
“On voit que la mobilisation est là, mais ce n’est pas concret sur le terrain”, a déploré Sitirati Mroudjae, vice-présidente du centre communal d’action sociale (CCAS) de Dembeni, dans l’île principale de l’archipel. Eau, denrées alimentaires, sa commune “n’en a pas vu la couleur”, constate-t-elle, alors “on se débrouille comme on peut”.
Un constat partagé par certaines habitantes avec qui Imaz Press Réunion a pu échanger. “Il a fallu attendre lundi pour qu’on voit la couleur d’une distribution”, lance Mia*, habitante de Tsararano, dans le centre de Grande-Terre.
“Que ce soit moi ou mes proches, on s’est débrouillé comme on pouvait, en allant puiser de l’eau dans un puit d’un ami. Pareil pour la nourriture, j’ai pu acheter des vivres en magasin en allant jusqu’à Mamoudzou, et je n’ai croisé personne qui distribuait des vivres”, affirme-t-elle. “C’est seulement à J+7 qu’on a vu un camion arriver pour nous permettre de remplir nos bidons d’eau.”
A Dembeni, faute de quantités suffisantes, la commune choisit “à qui on donne, à qui on ne donne pas”, et a fermé ses centres d’hébergement d’urgence “car on n’a pas de quoi donner à manger aux familles”, s’est désolée Sitirati Mroudjae.
“Je ne comprends pas comment, près de dix jours après le cyclone, l’aide ne soit toujours pas là “, a lâché l’élue, pour qui c’est “une question de vie ou de mort”. Selon les autorités lundi, 390.000 litres d’eau et 65 tonnes de nourriture ont déjà été distribués à la population.
– Contrôles d’identité –
L’action des forces de l’ordre interrogent par ailleurs certains habitants. Alors que le préfet de Mayotte, François-Xavier Bieuville, a, à plusieurs reprises, assuré que la priorité était de venir en aide à tous, sans distinction d’origine, les contrôles d’identité ont démarré à peine quelques jours après le cyclone.
Dès mercredi 18 décembre, le désormais ex-ministre chargé des Outre-mer, François-Noël Buffet annonçait d’ailleurs que la police aux frontières “était déployée pour vérifier qui est en situation régulière ou irrégulière”.
Depuis, de nombreux contrôles d’identité sont effectués sur place.
“Je ne les ai pas vu à l’œuvre une seule fois sur le terrain, tout ce qu’ils trouvent à faire c’est contrôler l’identité des personnes qu’ils croisent”, fustige Mia*. “J’ai vu des personnes, qui n’étaient probablement pas en situation régulière, s’enfuir en les voyant. Et personne ne s’intéresse à leur sort”, déplore-t-elle.
“Les seules forces de l’ordre que j’ai croisé, c’était pour demander aux enfants qu’ils croisent de déblayer la route”, s’exaspère Djayda Chamssidine, une habitante de l’Abattoir à Petite-Terre.
“Je ne suis pas à plaindre personnellement, j’ai de quoi me nourrir et boire, j’ai un toit sur la tête, mais les personnes dans les bidonvilles ne vont pas demander de l’aide dans ces conditions”, fustige-t-elle. “Et il n’y a pas que les forces de l’ordre, j’ai vu de nombreux témoignages qui disaient que certains centres de distribution demandaient une carte d’identité.”
Les deux Mahoraises dénoncent par ailleurs un bilan humain largement “sous-estimé”. “C’est impossible qu’il n’y ait “que” 39 morts, surtout quand on sait à quoi ressemblent les bidonvilles. Si on connaît un minimum Mayotte, ce n’est juste pas réaliste”, lance Djayda.
La déclaration du Premier ministre, François Bayrou, qui a assuré que le nombre de morts se comptait “en dizaines et pas en millier“, n’a fait qu’accentuer la colère qui couve sur place.
“On nous parle de 39 morts parce qu’ils ont pu être identifié à l’hôpital, mais quand est-ce qu’on va parler de toutes ces personnes dans les bidonvilles ?”, abonde Mia.
“Ils sont humains, ils avaient une vie, des proches, ils méritent qu’on parle d’eux et qu’on les cherche. Pourquoi aucune opération de recherche n’a été lancée immédiatement sous les décombres ? Personne n’y est allé, il y a sûrement des gens qui ont agonisé pendant des jours sous les décombres”, dénonce-t-elle. “Même pour leurs proches, ils ont le droit de savoir qu’un de leur proche est décédé.”
– Peur d’une épidémie –
Depuis le cyclone, les déchets s’amassent un peu partout à Mayotte. La gestion de ces derniers était déjà délicate avant même le passage de Chido. Depuis, ils s’amoncèlent au bord des routes, faisant craindre des problèmes de santé publique.
“Ici, c’est une déchetterie à ciel ouvert, ça pue, c’est l’horreur”, dit Djayda. “Les gens jettent leurs ordures dehors, il y a des rues où l’odeur donne la nausée, les déchats s’étalent sur 30 mètres. Comment est-ce qu’on va se débarrasser de tout ça ?”, s’interroge-t-elle.
Un problème dont a conscience la préfecture, mais qui n’est pas la priorité principale. “La stratégie de résolution de ce problème est en cours de réflexion”, a assuré lundi le préfet.
Des équipes de surveillance sont sur le terrain pour vérifier qu’aucun indicateur d’épidémie ne soit présent. Pour autant, la population s’inquiète d’un retour du choléra, et d’une dégradation de la santé publique, alors même que le système de santé est à terre.
“L’eau du puit qu’on utilise pour se doucher crée des plaques. Les maladies vont arriver, ça m’inquiète beaucoup. J’ai plus peur de la crise sanitaire à venir, que du cyclone est passé”, conclut Djayda.
Arrivé mardi au ministère des Outre-mer, l’ancien Premier ministre français Manuel Valls a promis de faire de Mayotte, île ravagée par le cyclone Chido, une “priorité” et de s’y rendre “le plus vite possible”.
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