Alors que la Corne de l’Afrique, comme tant d’autres régions du globe, reste confrontée à des défis complexes, il est des anniversaires qui transcendent la simple commémoration. Celui de la Conférence de réconciliation nationale somalienne d’Arta, tenue il y a un quart de siècle sous l’égide de Djibouti, en est un. Ce n’est pas seulement un chapitre de l’histoire somalienne que l’on célèbre ; c’est un puissant rappel des principes intemporels sur lesquels se fonde toute paix durable : l’inclusion, le leadership local et la primauté du dialogue sur la force.
À la fin des années 1990, la Somalie était devenue le symbole d’un État failli, une nation déchirée où les initiatives de paix, souvent pilotées de l’extérieur, s’enchaînaient sans succès. Dans ce contexte de profond désespoir, l’initiative du président djiboutien Ismaïl Omar Guelleh a apporté une rupture salutaire. Son postulat était aussi simple que révolutionnaire : la Somalie devait se réconcilier elle-même. Le processus d’Arta a ainsi placé la souveraineté et la voix du peuple somalien au cœur des négociations, marginalisant l’influence des seigneurs de guerre et redonnant une légitimité populaire à un projet politique. Cette légitimité fut si forte qu’elle fut rapidement entérinée par le Conseil de sécurité des Nations Unies comme le seul cadre crédible pour une réconciliation « authentiquement africaine ».
La véritable innovation d’Arta réside dans son architecture inclusive. Pour la première fois, la table des négociations n’était pas une arène réservée aux factions armées. Chefs traditionnels, religieux, intellectuels, membres de la diaspora somalienne et, fait marquant, des femmes, y ont été conviés comme acteurs à part entière. La formule dite « 4.5 » pour le partage du pouvoir, bien qu’empreinte de compromis, a constitué une tentative pragmatique d’équilibrer la représentation clanique. Plus significatif encore fut l’octroi de 25 sièges aux femmes au sein du Parlement transitoire, un geste politique fondateur qui a inscrit leur rôle indispensable dans la reconstruction nationale. Comme le souligne une participante de l’époque, ce fut le moment où les femmes somaliennes sont passées « de la périphérie de la douleur au centre de la reconstruction ».
L’impact de cette conférence dépasse largement les frontières de la Somalie. Elle a démontré la capacité d’un petit État à exercer un leadership diplomatique disproportionné. En alliant neutralité politique, solidarité régionale et une conviction morale inébranlable, Djibouti a transformé Arta en un symbole de ce que le continent peut accomplir par lui-même, pour lui-même. Ce fut un acte de souveraineté diplomatique qui a inspiré la région toute entière.
Un quart de siècle plus tard, le chemin de la Somalie reste semé d’embûches. Les institutions issues d’Arta ont connu des fortunes diverses, mais l’esprit d’Arta, lui, demeure un phare. Il nous rappelle que la paix n’est jamais un acquis définitif, mais un processus fragile qui exige une vigilance constante, des institutions légitimes et une gouvernance partagée.
Alors que de nombreux conflits aujourd’hui semblent s’enliser dans des impasses militaristes, la leçon d’Arta est d’une brûlante actualité. Elle nous enseigne que les solutions les plus durables ne sont pas imposées par la force, mais émergent de la parole donnée et partagée. Célébrer Arta, c’est célébrer la victoire obstinée du dialogue sur la discorde, et affirmer qu’aucune nation, aussi meurtrie soit-elle, ne peut se reconstruire sans confiance, sans leadership éclairé et sans une foi inébranlable en un avenir commun. C’est un héritage de responsabilité et d’espérance que Djibouti a offert au monde, et dont nous devons tous nous souvenir.
Naguib Ali Taher