Le Xeer Issa vient de rejoindre le patrimoine culturel immatériel de l’humanité à travers l’UNESCO depuis le 06 décembre 2024. Nous voudrions présenter ici comment le Xeer, qui est fondateur d’un Etat, n’en est pas à sa première reconnaissance internationale. Le Xeer a été, en fait, un Souverain étatique :
Est souverain celui qui est dessus de toutes les autorités. Le Xeer est l’Autorité (suprême) : il est au-dessus de tous y compris de l’Ougas. C’est à lui qu’on a recours toujours et non aux hommes (qui doivent seulement l’appliquer). L’Ougas détient une autorité déléguée avec laquelle il se fait obéir. Le jour où il perd cette autorité, il est contesté et destitué. De même le Gandé comme les Guddi n’ont d’autre autorité que l’usage du Xeer.
Qu’est-ce qu’un Etat souverain ?
Selon Ibn Khaldoun, le plus grand théoricien de l’Etat, celui-ci se constitue sur les trois bases suivantes :
1. Assabiya : communauté solidaire (lien organique ou juridique)
2. Dawa : projet ou une idée partagée de vouloir vivre ensemble
3. Mulk : la souveraineté pleine sur un espace reconnu
L’Etat du Xeer ou l’Etat issa (souveraineté) a historiquement existé, juridiquement et géographiquement.
Juridiquement, il s’est fondé sur un pacte social établi par les Pères fondateurs, au XVIème siècle, avec les principes suivants :
1. La primauté du Xeer
2. Le consentement libre et voulu
3. L’égalité de tous
4. La représentativité et donc la participation de tous
5. La solidarité entre les membres
Géographiquement l’Etat Issa était constitué de l’ensemble habité par la communauté du Xeer
Le territoire, dont les frontières ont varié au gré des frictions avec les voisins, était divisé en :
1. 12 Gallin (régions) avec des chefs de régions
2. Et 12 Ouwed où avaient lieu les rassemblements
Les Issas y circulaient en toute liberté (la terre est un bien commun), s’installant où ils voulaient selon les saisons et bien sûr la défendait ensemble.
La colonisation va-t-elle faire disparaitre
cet Etat ? ou va-t-il subsister sous une autre forme ?
Le traité avec la France reconnaît juridiquement ce territoire « protégé »
La signature des traités avec la France (fin 19ème début 20ème)est basée sur ces deux aspects juridique et géographique du territoire issa.
Traité du 26 mars 1885 :
Art.1 « Il y aura désormais entre la France et les Chefs Issa amitié éternelle»
Art. 2 « Les Chefs Issa donnent leur pays à la France pour qu’elle le protège contre tout étranger »
Art. 4 Les Issa s’engagent « à ne signer aucun traité, ni à conclure aucune convention » avec d’autres puissances
On peut faire l’analyse suivante du traité :
1. Un traité international enregistré au journal officiel de la France. Ce qui implique des contraintes juridiques dans son application pour la France et pour les Issas
2. L’égal statut juridique de l’État français et de l’État issa (traité d’amitié)
3. Le territoire issa est l’ensemble du pays habité par les Issas et non la portion côtière à laquelle la France s’est repliée (non respect des termes du traité)
4. Le traité est signé, non pas par un homme (Ougas), mais par l’ensemble des représentants de tous les sous-clans issas. L’Ougas le mettra en œuvre
5. Les Issa (leur État) s’engage à ne signer de traité similaire avec aucun autre pays alors que la France n’a pas respecté cette clause et a laissé d’autres puissances occuper des parties du territoire issa. Un procès aurait pu être intenté à la France au moment de l’indépendance pour qu’elle restitue le territoire « protégé.»
La reconnaissance juridique du Xeer dans le système judiciaire de la colonie
La conséquence juridique de ces traités a été aussi de reconnaître l’usage du Xeer dans les affaires concernant les autochtones.
Dans le traité additionnel du 31 août 1917, on rementionne les « territoires occupés de temps immémorial par les tribus » Issa (Art. 2)
La France indique clairement le Xeer comme mode de gouvernance des Issas:
Art. 3 « Le Gouvernement français s’engage de son côté à respecter et à faire respecter tous les usages et coutumes des Tribus Issas représentés par leurs chefs ci-dessus désignés »
Ainsi, des textes juridiques ont été promulgués et des tribunaux du Xeer institués sous l’appellation de « tribunaux coutumiers » (ça fonctionne jusqu’à aujourd’hui au niveau des communes).
Voici les textes successifs qui reconnaissent et organisent le système judiciaire comprenant les « tribunaux coutumiers » ou du Xeer :
1. Décret du 04 février 1904 : reconnait la dualité au profit des autochtones
2. Décret du 02 avril 1927 : organise la justice du Xeer en matière civile, commerciale et répressive (pénal) avec des tribunaux du premier degré, deuxième degré et d’homologation
3. Décret du 04 juin 1938 : apporte quelques ajouts
Donc la colonisation française n’a pas fait disparaître le Xeer, mais l’a reconnu au contraire, et en a fait usage pour gouverner le peuple autochtone. Il coexiste toujours avec le système judiciaire hérité de la France.
Dans son ensemble le Xeer est donc une Souveraineté qui peut fonctionner sans territoire (dans le sens des frontières délimitées) parce qu’il est porté par un territoire mental qu’il ne quitte pas. On pourrait s’interroger, pour pousser la réflexion, sur le fonctionnement de cet Etat qui ne ressemble à nul autre.
KADAR ALI DIRANEH